Cet article est un outil développé en support de notre manifeste réalisé en collaboration étroite avec nos membres. Organisé autour de dix thématiques, nous y avons regroupé nos principales recommandations politiques en vue de la prochaine législature.
Cet article s’intéresse aux liens entre logement, vieillissement de la population et santé. Il vient illustrer par des exemples de terrain, des propositions et des pistes d’action que nous évoquons dans notre chapitre consacré au logement et à la santé.
En particulier :
- La nécessité de soutenir davantage l’intersectorialité et les échanges de pratiques entre les secteurs sociaux et santé ;
- L’importance de renforcer la création d’habitats alternatifs, adaptés aux personnes les plus vulnérables, tel qu’un habitat intergénérationnel ;
- La richesse de soutenir des projets communautaires qui placent l’humain au centre des préoccupations.
Le projet intergénérationnel « Ninove » accompagné par la FéBUL
Le projet intergénérationnel « Ninove », c’est un immeuble dit à finalité sociale d’environ 640m2 qui comprend 3 studios, 1 appartement de 4 chambres, et 2 appartements de 3 chambres chacun ainsi qu’une buanderie mutualisée, une salle polyvalente communautaire, un coin vélo, une cour et un jardin partagés. Deux des studios sont occupés par deux seniors tandis que le troisième est occupé par un jeune travailleur. Les trois autres appartements sont occupés par des familles.
Ce projet est le fruit d’une longue collaboration entre quatre partenaires : la coopérative immobilière LivingStones qui, en tant que propriétaire, a supervisé la rénovation du bâtiment ; l’AIS Quartiers, qui assure la gestion locative ; l’Union des Locataires Quartier Nord, qui gère l’accompagnement social individuel des habitant·es ainsi que la FéBUL, qui endosse le rôle de coordination entre les partenaires et d’accompagnateur social communautaire auprès des habitant·es.
La particularité de ce projet réside dans son caractère intergénérationnel et solidaire, une dynamique soutenue et encouragée par la FéBUL. Cet accompagnement a déjà porté ses fruits, comme le démontre l’article publié en mars 2023, faisant l’état des lieux des projets initiés par les habitant·es de l’immeuble.
Un nouveau travailleur social communautaire, Mory Camara, a rejoint la FéBUL et accompagne de près le projet depuis quelques mois. Nous lui avons posé quelques questions afin de récolter son expertise sur la mise en place d’un accompagnement social communautaire ainsi que ses réflexions sur l’impact ou les effets d’un tel projet sur la qualité de vie des habitant·es, avec un angle plus spécifique sur la lutte contre l’isolement social qui touche particulièrement nos aîné·es.
Le lien entre les habitant·es de différentes générations permet un enrichissement mutuel, basé sur l’échange et la réciprocité.
Pour toi, quels sont les apports principaux d’un projet intergénérationnel, en te référant à ton expérience chaussée de Ninove ?
Le projet intergénérationnel mené à chaussée de Ninove 122 est un projet de transmission d’expériences et de savoirs entre des personnes d’âges différents, au bénéfice des locataires de l’immeuble, dans son ensemble. Il favorise l’échange entre différentes générations tout en instaurant l’émergence d’un lien social fort entre les jeunes enfants, adultes et personnes âgées, vivant dans le même logement. C’est une approche qui permet aux jeunes de prendre conscience des besoins, des difficultés liées à la vieillesse, du respect entre les générations, de la notion du temps qui s’écoule et de la continuité de la vie. Un tel projet est un vecteur de transmission de savoirs, de partage et de cohésion sociale.
À travers ce mécanisme de transmission d’expériences et de savoirs, les personnes âgées vont se sentir considérées et valorisées.
En quoi le projet intergénérationnel permet-il de lutter contre l’isolement social ?
Le contact régulier entre ces différentes générations permet aux personnes âgées d’être stimulées socialement et psychologiquement. L’objectif est de rompre l’isolement de nos aîné·es et de lutter contre leur solitude à travers les différents moments d’échange autour des activités initiées dans ce lieu.
La jeune génération peut saisir l’occasion d’apprendre des enseignements de leurs aîné·es, par le partage de leur vécu ou leur parcours de vie. Ainsi, les deux générations partagent des moments de détente et de convivialité instructifs et enrichissants. Elles peuvent développer de nouvelles relations et s’ouvrir à d’autres horizons. Cela s’inscrit dans un processus de décloisonnement des générations au travers d’excursions ou d’autres activités organisées en dehors de leur logement, de leur quartier ou périmètre de vie.
Pour lutter contre l’isolement, ce type de projet doit s’inscrire dans la durée. Quels que soient les projets menés, il faut qu’il y ait une continuité dans le temps et une récurrence des rencontres entre habitant·es. Afin qu’un lien durable puisse se tisser, il est important que ce soit toujours les mêmes jeunes et les mêmes aîné·es qui participent à ces rencontres. Chaque rencontre doit s’appuyer sur une activité réalisable par tous·tes.
Les premiers contacts sont souvent simples, autour de tasses de thé, d’un goûter, d’une chanson ou d’un récit de vie. Chaque participant·e doit être libre de participer ou non aux activités proposées dans le cadre de ce projet intergénérationnel.
Pour illustrer ce passage, je vous expose la collaboration de notre stagiaire, Lucie Jaspart, avec les locataires autour de l’élaboration du planning d’occupation de la salle communautaire.
Durant son stage, Lucie a eu des interactions enrichissantes avec les habitant·es. Elle a pu mettre sa compétence informatique à la disposition du projet, en participant à la planification des activités qui seront organisées dans la salle communautaire. Elle a pu réaliser un planning d’activités avec les locataires qui ont émis des propositions d’activités signifiantes pour elles et eux. Cette expérience lui a permis de prendre conscience de la barrière de la langue et des difficultés liées à la vieillesse.
En quoi le projet intergénérationnel Ninove participe-t-il à une société plus inclusive, axée sur les besoins, envies et aspirations des ainé·es ?
Le projet intergénérationnel Ninove permet de maintenir d’une part le lien entre habitant·es et d’autre part le lien avec le quartier dans lequel il est implémenté.
Le lien entre les habitant·es de différentes générations permet un enrichissement mutuel, basé sur l’échange et la réciprocité. L’habitat intergénérationnel peut devenir cet espace dans lequel les aîné·es peuvent se sentir valorisé·es, par le partage de leurs connaissances et expériences de vie. Les plus jeunes habitant·es y ont également l’occasion de développer des comportements de solidarité, qui ont pour effet de stimuler et d’aider leurs aîné·es au quotidien.
La particularité de ce projet intergénérationnel est son caractère multiculturel. Pour les plus jeunes, la rencontre des aîné·es d’une autre culture, permet d’encourager leur capacité d’adaptation et de prise de conscience des difficultés qu’ils et elles peuvent rencontrer. En effet, cela développe chez les plus jeunes de la bienveillance envers les aîné·es et plus largement envers les personnes vulnérables. C’est, à mon sens, une nécessité pour l’instauration et le maintien d’une société plus inclusive.
Pour illustrer cette démarche de bienveillance, je vais donner l’exemple d’un jeune locataire de 20 ans vivant à la chaussée Ninove 122. Ce jeune s’est proposé un jour de conduire sa voisine, une locataire de plus de soixante ans, à l’hôpital Brugmann pour une visite médicale d’urgence. Il a conduit son aînée à l’hôpital et l’a ramenée chez elle, pour marquer sa solidarité vis-à-vis d’elle.
Quels sont les obstacles et limites à ce projet ?
Les obstacles que je peux relever par rapport au bon fonctionnement de ce projet sont :
- La barrière de la langue est un frein majeur au bon fonctionnement de ce projet ;
- Les difficultés liées à la diversité culturelle et des habitudes de vie différentes ;
- Les difficultés liées à la mixité de genre (les hommes et les femmes ne se mélangent pas ou presque pas durant les activités et projets) ;
- La situation géographique du quartier (un sentiment d’insécurité est vécu par certain·es habitant·es) ;
- La multiplicité des partenaires et des visions parfois divergentes par rapport au projet ;
- Le manque d’information claire quant à la gestion et l’entretien des espaces partagés (local communautaire, jardin, utilisation des machines à laver et séchoir) ;
Ces obstacles représentent des défis qui sont possibles à relever. Voici quelques pistes d’améliorations :
- Nouer une complicité et une solidarité intergénérationnelle pour faire perdurer le lien social ;
- Inciter les jeunes à s’investir davantage dans les activités proposées ;
- Veiller à la compréhension mutuelle et le respect des différences culturelles, en encourageant l’échange et la connaissance de l’autre ;
- Encourager la mixité de genre, en proposant des activités de sensibilisation pour tous·tes les locataires ;
- Renforcer l’ancrage du lieu dans le quartier, en nouant des liens avec les services existants et lieux de proximité ;
- Encourager une communication régulière et fluide entre les partenaires ;
- Mettre à disposition des locataires des informations claires et accessibles.
L’Observatoire de la Santé et du Social a récemment publié une étude dans laquelle il ressort qu’une augmentation des 65+ est prévue dans toutes les communes de la Région bruxelloise, avec des intensités différentes, à l’exception de Ganshoren.
Le vieillissement de la population est un enjeu social et sanitaire lorsqu’on regarde les difficultés qui apparaissent avec l’âge, en particulier l’isolement social. Ce dernier est associé à un plus grand risque de dépression, d’anxiété, d’un déclin de la mobilité et augmente le taux de mortalité. La solitude réduit la qualité de vie immédiate des personnes âgées. En parallèle, une précarisation grandissante de la population est également observée. Ces deux constats traduisent une grande fragilité sanitaire, induisant des besoins en aide et soins qui ne cesseront de grandir.
Des initiatives telles que le projet intergénérationnel Ninove fleurissent sur le territoire bruxellois, et nous ne pouvons que nous en réjouir. Malheureusement, il en ressort un certain nombre d’obstacles réels comme le manque de financements structurels et d’accompagnement tant durant la phase de lancement que pendant la gestion et la coordination du processus. Comme le démontre cette interview, ce genre de projets demande du temps et de la patience, ainsi que des travailleur·ses qualifié·es pour accompagner le processus.
Intersectorialité et échange de pratiques
Ces constats sont largement partagés par les associations et réseaux qui travaillent autour de l’accompagnement des personnes âgées à Bruxelles.
En effet, la FéBUL a participé à deux moments de création de synergies et d’échanges intersectoriels initiés par l’asbl Samen Toujours. L’association fédère et représente les réseaux d’entraide et les initiatives citoyennes dans leur recherche de solutions à l’isolement social des personnes âgées et vulnérables, et qui soutiennent ces personnes dans leur désir de vieillir de manière qualitative dans leur milieu de vie.
Le vieillissement de la population est un enjeu qui touche tout particulièrement le logement. La volonté des personnes âgées est de vivre le plus longtemps possible au sein de ce dernier. En effet, quitter son logement, son « chez soi », peut entraîner des phénomènes de compensation qui augmentent considérablement la fragilité des personnes âgées. Suite à ces rencontres, il nous apparaît important de pointer deux éléments essentiels :
- La nécessité de mettre en place des réponses holistiques et intersectorielles pour rencontrer les besoins et aspirations des aîné·es en Région bruxellloise.
- L’importance de soutenir et encourager les nombreuses initiatives qui existent déjà afin qu’elles puissent perdurer et opérer de réels changements structurels dans la société.
Études, réseaux, projets innovants et lieux inspirants (liste non exhaustive) :
- Étude publiée en février 2023 par l’Observatoire de la Santé et du Social : « Les personnes âgées en région bruxelloise, aperçu de leur situation socio-sanitaire et de l’offre d’accueil et d’hébergements »
- Réseau francophone des Villes Amies des Aînés (RFVAA), association affiliée au réseau mondial des villes et communautés amies des aîné·es de l’OMS
Le modèle Buurtzorg : The Buurtzorg Model – Buurtzorg International
La carte Réseau, développée par le Projet CitiSen de la Maison Biloba Huis
Le réseau SAM
Pour aller plus loin :
- Matinée Synergies_280623 (samentoujours.be)
- INNOV+tableechange (samentoujours.be)