Ce qu’on appelle la « Rénolution » est un ambitieux projet de rénovation du bâti bruxellois à l’agenda de la Région Bruxelloise pour les décennies à venir et découlant directement du plan (beaucoup plus large) PACE pour « Plan Régional Climat Air Energie », qui inscrit la Région Bruxelloise dans les échéances de réduction des gaz à effet de serre imposées par le pouvoir européen. Pour mieux percevoir les enjeux et les objectifs de la « Rénolution », nous avons organisé une formation ouverte à toutes et tous le vendredi 8 septembre dernier. Retour sur les moments clés de cette journée d’échanges avec entre autres, Julien Simon, membre du Cabinet du ministre Alain Maron en charge de la transition climatique, de l’environnement et de l’énergie, Maxime Remion de l’asbl CAFA et Erdem Resne de l’asbl Convivence.
D’où vient la « Rénolution » ?
La loi européenne sur le climat fait de la réalisation de l’objectif climatique de l’Union Européenne consistant à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 une obligation légale. Les pays de l’UE travaillent à l’élaboration d’une nouvelle législation pour atteindre cet objectif et rendre l’UE neutre en carbone d’ici à 2050. Les textes de loi belges découlent donc de cette obligation européenne. C’est dans ce cadre que la Région Bruxelloise s’est fixé les objectifs suivants :
- Réduire de 47 % ses émissions d’ici à 2030 et de 69 % pour 2040
- Adapter la ville aux effets des changements climatiques
- Améliorer la qualité de l’air en visant les nouvelles normes de l’OMS
- Assurer une transition juste et inclusive
Quels sont ses objectifs ?
L’objectif principal de la « Rénolution » consiste à réduire la consommation énergétique des logements à Bruxelles. En effet, le secteur du bâtiment reste le premier responsable des émissions de gaz à effet de serre : il représente 56 % des émissions directes. D’autres chiffres sont parlants : 33 % des toitures sont non isolées, 40 % des logements construits avant 1945, 17 % des logements ne disposent que d’un simple vitrage et 45 % des logements sont des passoires énergétiques, c’est-à-dire qu’ils présentent un certificat de performance énergétique de classe F ou G.
Pour les logements résidentiels, la « Rénolution » vise un PEB C+ d’ici à 2040 pour les logements publics et 2050 pour les logements privés. Quant aux bâtiments tertiaires, à savoir les immeubles de bureaux et de services, ils devront atteindre la neutralité en énergie d’ici à 2040 et 2050. Le certificat PEB sera également obligatoire pour l’ensemble des logements de la Région bruxelloise et plus uniquement lors des transactions immobilières de vente et de mise en location.
Comment procéder à sa mise en place ?
Le plus gros défi réside dans l’adoption d’outils adaptés pour soutenir financièrement les coûts engendrés, mais aussi éviter qu’au bout de la chaîne, les locataires, via une hausse massive des loyers, ne payent le prix « fort » de cette « Rénolution ». Ces outils comportent le lissage généralisé du loyer entre deux baux, la mise en place d’un permis locatif ou encore le conventionnement des loyers. En effet, selon Erdem Resne, 400 millions d’euros dorment dans les banques grâce aux garanties locatives. À l’instar de l’INAMI, pourquoi ne pas mettre en place un conventionnement étatique à l’échelle de la Région bruxelloise ? Plutôt que d’avancer deux mois de loyer, il existerait une cotisation dans des fonds pour « remplacer » la garantie locative, dont l’État serait le garant. Pour les propriétaires qui conventionnent leur loyer, ils et elles auraient par exemple accès à des primes prioritaires tous les 5 ou 10 ans.
Outre une augmentation forte du budget alloué aux primes à la rénovation, le gouvernement a déjà mis en place une série d’outils, destinés notamment à accompagner les propriétaires dans leurs demandes, mais on peut lui opposer l’argument que ces informations sont encore relativement méconnues du grand public, à commencer par les échéances liées au PEB, mais aussi les primes existantes, à qui s’adresser pour avoir l’information, etc. Malheureusement, les mécanismes qui freineraient éventuellement une augmentation des loyers, telles que la Commission paritaire locative et une grille des loyers révisée, ne sont eux, par encore en place.
Qu’en pense le secteur associatif ?
L’asbl Convivence et le Réseau Habitat – un ensemble de 9 associations situées en Région Bruxelloise, dont certaines missions sont liées à la rénovation du bâti bruxellois et qui proposent notamment des conseils en rénovation – nous ont fait part de leurs impressions concernant la « Rénolution », outre la question de l’impact sur les loyers, déjà évoquée ci-dessus.
Si la volonté gouvernementale d’améliorer la qualité et l’isolation du bâti bruxellois s’avère tout à fait louable, le Réseau met en garde sur une série de problèmes de mise en œuvre, déjà existants, et qui pourraient sensiblement s’aggraver si rien n’est entrepris :
- Suppression de l’avance sur les primes ;
- Crédit Ecoreno (ex prêt vert) : les taux sont assez bas et les délais sont assez longs ;
- Fracture numérique : toutes les démarches étant numérisées, certaines personnes peuvent avoir des difficultés à faire usage de l’outil informatique ;
- Urbanisme : difficultés à obtenir des informations précises sur les travaux préalablement à la demande d’un permis d’urbanisme. Cela peut s’avérer problématique en termes de sécurité juridique.
Auparavant, les propriétaires pouvaient toucher 90 % de leur prime à la rénovation avant que les travaux ne commencent. Depuis la mise en place des primes Rénolution au 1er janvier 2022, les propriétaires doivent avancer l’argent des travaux et ne touchent les primes qu’après la fin des travaux. Cela peut s’avérer très problématique pour les personnes qui ne disposent pas de fonds financiers suffisants.
Quant au crédit Ecoreno, il provient du Fonds du Logement pour pallier les difficultés qu’ont certaines personnes à avancer l’argent des rénovations. Cependant, il s’agit d’un prêt assez restrictif puisqu’il ne convient pas aux plus de 70 ans.
Le secteur associatif craint également que les rénovations se fassent toutes en une fois et que les entrepreneur·ses soient débordé·es. Ne faudrait-il pas dans ce cas imposer les rénovations à des moments-clés qui seraient liés au cycle de vie du bâtiment ?
Assurer une transition juste
Erdem Resne insiste également sur le fait que l’enjeu de la « Rénolution » n’est pas seulement d’ordre environnemental mais aussi économique. En effet, il faut nuancer le fait que les « ménages » pourraient faire des économies sur la rénovation de leur logement. Par exemple, l’achat d’une chaudière plus performante combiné aux frais d’entretien peut s’avérer très cher. Pour les locataires, ce coût peut être reporté ailleurs, sur la majoration du loyer notamment. Ce coût doit donc être assumé par la collectivité mais cela risque de s’avérer énorme pour la Région Bruxelloise. Il faudrait envisager une réflexion plus approfondie sur l’ensemble des aspects fiscaux en lien avec le logement.
Il souligne en outre le fait que la plupart des primes ne sont pas octroyées à des propriétaires précaires alors qu’elles devraient justement leur dédiées en priorité. Le manque de moyens financiers ou l’impossibilité d’entretenir ou de vendre un bien reçu en héritage constituent des freins importants pour ces personnes. La question est la suivante : comment mieux allouer les aides afin d’assurer une transition juste ?
Pour parvenir à rénover le parc bruxellois tout en apportant un caractère collectif au projet, une politique identique à celle des contrats de quartier pourrait être menée. Il est évident que si une antenne « Rénolution » voit le jour au sein d’un quartier, de petits propriétaires seraient nettement plus à même de comprendre les échéances à respecter, le mécanisme des primes, etc.
Pour finir, les intervenant·es du secteur associatif soulignent l’importance d’agir sur nos comportements individuels pour limiter nos consommations et ce, même dans un bâti bien isolé.